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Pays Verti Prose posée perd ce qui casse

Drosera Pitre_ Pure pître 7 // Mission Drifteur

Junin
Drosera Pitre_ Pure pître 7 // Mission Drifteur

« …Personnnnnne non non personnnnnne… » _ je claque, snooze le radioréveil affichant un terrible 4 heure du mat’- fixe béatement le cadran vert qui aurait dû sonner une demi heure plus tôt alors que l’enclume dans mon crane résistait à toute vindicte sonore….remet la music pour innerver le monde réel jusque dans ma nausée, balance un pied hors du lit, arrache et déracine mes épaules du lit douillet pour me prendre la tête entre les mains, tâté aux alentours en quête d’une bouteille de flotte, boit l’eau limite putréfiée, tend le bras pour éteindre le réveil geignant et enfourne un cd hardcore pour l’entendre cracher en deux temps un jeu de kick et de basse - l’enclume résonne- « …aaaahAAA…putainnnnnn !!!»- dégringole jusqu’à la cuisine chopper deux efferalgans – fait couler de l’eau dans la machine à café - avale le verre bulleux et embué à l’effet psychologique immédiat, me jette sous une douche froide-chaud froide, pas le temps de me laver - sécher , me sape des premières fringue qui me tombe sous la main - 4 heures 10.….attrape le café bouillant noyé de sucre, banane et gâteaux secs pour la route et me jette dans la rue ou m’attend mon carrosse givré - ‘tain… retour à la cuisine faire bouillir de l’eau, fait tout gicler sur pare-brise, fenêtre et lunette arrière - tourne le contact : le moteur crachote, il semble lui aussi sur les rotules, mais persévère en un « me lâche pas meeeerde ! » au bout de 3 essais le moteur rugit , démarre en trombe sous les guirlandes de la ville.

Radio à fond, fenêtre baissée malgré le très froid, je gueule à 100 à l’heure dans la nuit, seul….Près de D… , la Siom semble à l’autre bout du département ….4 heure 20 grave à la bouurre - bretelle/autoroute - personne….lâche au grand gallo mes 200 chevaux et grimpe la côte de D… , gagnant de la vitesse comme dans sa descente - freine au grand carrefour de la zone industrielle, passe passerelle et dérape sur la ligne blanche du rond point des 2 moulins gériatriques - 4h35 - je passe enfin la barrière de la grand déchèterie en montrant patte blanche au gardien (son rôle doit être de valoriser l’endroit…),cherche une place où la garer parmi les flaques couleurs bronze reflétant les lumières orangées de la grosse masse déstructurée de la haute usine. Efflanqué à sa droite comme son donjon tendue vers le ciel, sa longue cheminée avait l’air de fabriquer les nuages alentours qui s’agrégeaient en glacie rose de cumulonimbus, révélant une aube proche à quelques lieux à l’est.

Vestiaire : le gros de la troupe de conducteurs/drifters sort avec un « t’es à la bourre l’nouveau! » bienveillant et/ou bilieux, j’enfile l’uniforme bleu poubelle liséré de fluo que me tend Gérard, mon nouvel équipier - un solide quarantenaire rigolard. Un grand noir ensommeillé me dévisage et soulagé, me soupire un « bienvenu en enfer….tâche d’arrivée à l’heure demain… » .

Nous nous enfournons dans le confortable habitacle du camion-benne numéro 10 d’où résonne déjà les mâchoires en chauffe - Mamadou tourne la fréquence jusqu’à « Rire et Chanson ». Gérard engloutit un supplément de pti dèj, mordant un croissant : « T’as déjà fait ce boulot, p’ti ?

- Nan, ma toute première fois (et j’espère qu’il en aura pas d’autre …).

- Chie d’dans, tu va morfler au début, mais tu vas vite prendre le coche, fiston!

- Tu dis ça, mais le p’tit rebeu qu’était là avant lui, ‘l’a pas tenu 4 jours… » Sort Mamadou, les avant-bras sur le volant, le regard fixé sur les bouts d’autoroute balayés par ses phares.

- Ouais, mais il était trop fière … » Gérard me jette un œil pour guetter une réaction de ma part mais reporte son attention sur la route et la signalétique : « la collecte de jeudi, c’est celle du recyclage…on part de Verrière, s’pas ?

- Ouaip!

- C’est les poubelles jaunes, nan? » Acquiescement « ça devrait être plus tranquille, alors …. » Les compères se regardent, le conducteur se marre.

- en temps normal, t’as pas tord, mais l’après fête, c’t’une bonne galère : des emballages de toutes les formes à foison ; les bacs à verres dégueulent du double au triple…chie d’dans, manquerait plus qu’il ait plu la veille ! »

Arrivons dans la zone résidentielle cossue, le caltard s’arrête, Gérard me tend des gants : « En scène l’artiste!! »


A fleurit devant chaque pavillons Phénix, encadré par la traditionnelle poubelle jaune et sa consœur verte, toute une farandole de carton d’emballage divers et varié tel que des boîtes de voitures téléguidées encore enchâssées dans leur papier cadeau , emballage de petits fours, d’énorme écran de télévision ; le tout entassé autour du bac qui n’avait pu s’en emplir, comme si leur dignité d’étui de produit de consommation moins courant leur empêchait toute promiscuité avec canettes, boîte de couscous ou berlingot de lessive à la lavande.

Pour le verre, tout était sagement rangé dans leur petit bac et seul quelques belles bouteilles magnum de champagne s’enorgueillaient de ne pouvoir rentrer dedans….

Bref, j’avais étalé devant moi chaque péripétie d’une veillée des fêtes des familles de la classe moyenne et j’aurais pu reconstituer au-delà le décalque de la maison typique et rassurante - avec son toit triangle, sa cheminée pour le symbole et son immonde crépis rose - le carnet de famille de chaque foyer gentiment lové dans leur petite propriété au fronton décoré.

A quelques mètres des résidus préposés au recyclage, de grosses voitures parkées sur leur graviers semblaient vouloir démentir l’appartenance délibérément bœuf de cette classe en perpétuelle devenir. En attrapant les premiers cartons disloqués par l’humidité de la nuit glaciale et les levants hauts pour pouvoir nourrir la benne, la question - alors anodine - de la pluie évoquée au chaud prenait tout son sens … lorsqu’une goutte, puis un ruisseau vint dégouliner le long de mon bras jusqu’ aux reins - je me suis figé un instant en un cri muet…

- j’crois qu’il a compris…lança Gérard à Mamadou, accoudé à la fenêtre : « on dirait bien qu’il a plu…pas vrai Piotr?! »

‘balance les emballages de rage dans les mâchoires et tressaute un moment pour faire descendre l’eau de pluie que senti immonde et gluante ; me mis ensuite à attraper un bac jaune, le traînant et l’ouvrant pour l’accrocher aux canines de la benne sous la supervision rougeaude de Gégé, m’enjoignant à suivre ses mouvements professionnellement automatisés.

- elle est pratiquement vide!?!

- exact! Et j’crois pas qu’les gens ont simplement la flemme de mettre leur déballage en boîte, crois-moi….Mais plus pour montrer aux autres... » Large geste embrassant le quartier endormi «... ce qu’ils se sont offerts…et tu remarqueras que les plus gros emballages sont les plus en vue… »

C’est à cet instant que je me suis mis à conchier cette classe abâtardie par le diktat de l’apparence et obnubilé par sa progression dans son délire consumériste.

Enervé et réchauffé, j’ai allongé mon rythme pour moins penser et rester dans l’idée que dans mon cas, sans bien et sans emploi stable, c’est pourtant dans cette strate sociale que j’aspirais à confortablement m’installer, et en dépit des codes pitoyables de cette petite bourgeoisie moderne, c’est bien leur apparente sécurité financière et donc une certaine liberté de choix qui hélait mes envies.

Au dernier virage du dernier cul-de-sac, j’accrochais mon quinzième bac jaune aux canines, la regardait s’élever progressivement vers la gueule béante quand un des crocs se désamarra, laissant le fût gris s’effondrer à quelques centimètres d’une BMW vert métallisés, répandant packagings et boîtes de conserves sur la chaussée… « Hé, meeerde! » lâchais-je d’avoir loupé mon accroche….et ma cible.

- ‘gaffe! La première est assurée mais la prochaine, les frais s’ront retiré de ta paie, fiston! »: Sort Gérard en caressant la grosse allemande avec respect.

Ramasse et jette les boîtes récalcitrantes dans la benne en lançant un regard noir au suppôt flatteur teuton.

- aller, grimpe! » Me dit-il en abaissant le strapontin « et accroche toi!! On est un peu à la bourre!! »


Écumant les trottoirs de chaque baraque - de la p’tite bicoque meulière des années trente à la grosse jumelée des années quatre-vingt, voir des perspectives pointillistes au garde-à-vous vert et jaune, attendant qu’on les délaisse de leurs déchets ; la moiss’ bat’ à poubelles les relâchait en désordre sur le trottoir, et on pourrait parier qu’elles vont se remettre en ligne une fois hors de vue.

Une fois dans l’action, la partie n’était pas si désagréable et m’offrait un point de vue nouveau sur la rue et sa ponctuation systématique d’ersatz de vie. Ces foutues poubelles finissaient par incarner des organes externes et active de l’immuable immobilisme pavillonnaire ….une concrétion de la vie contenue en elles.

Au début, les insinues odeurs de pourriture aux relents acidulés faisait vite revenir à la réalité mes rêveries, les transformant en aigreurs quant à la tâche ingrate, mais les fragrances charnière furent vite dompté par la technique de l’ouverture-écarté. Après l’épaulé-jeté du bac complets jusqu’à l’avant bras – technique de base adopté par le plus grand nombre, tirer d’un coup sec : le couvercle est projeté, et alors que le reste du corps attends sa main stop, il tombe au dernier moment par la simple poussée gravitationnelle. Le lancé-arrêtée lâche les déchets comme une défécation de sphincters au bord du trou sans toucher l’émail : c’est pareil pour le nez, il reste quoi qu’il en soit hors de portée. Avant de pouvoir arriver au geste signant la plénitude gestuelle ultime, j’ai vomis deux fois … dans la benne, un début de déformation professionnelle ?

Mais alors que j’étais parvenu à institutionnalisé un certain confort olfactif, la quiétude retrouvée n’a pu durée : au bout d’une quinzaine de poubelle épaulé-jeté, une douleur se mis à irriguer chacun des Gestes, et au premier couinement involontaire, j’ai sentis le gâchis d’une quête vaine de perfection alors qu’à 7 heure du mat’ mes muscles en chauffe accusait ma colonne vertébrale de ne pouvoir suivre la cadence, et l’épaule avait l’air de dire au nez : « maintenant mon ami, c’est toi ou moi… ».

*************


8 heure - pause café au Bellevue, haut lieu des fonctionnaires primesautiers, alerte pour rendre service à la communauté, la joie du répondant municipal et la bonhomie d’un travail bien fait : tels étaient les clés de leur fonction d’intérêt public.

Le facteur était effectivement là, accoudé à une table, il fixait le coin télé ou des grilles de Rapidos défilaient par intervalles de cinq minutes.

En effeuillant sa fleur de papier en échiquier, il avalait par petite goulée son café allongé et couché au cognac, son cartable en cuir pendouillant à sa chaise, le rappelant à l’ordre à la moindre levée pour mieux comprendre l’écran et sa perte.


Prise de deux doses d’Expresse à bleuir l’atmosphère jaunâtre de clope inspiré comme un vent frais en bord de mer. Gérard me tend un Banco, me jauge des yeux : « T’as déjà joué ?

- Nan », mentis-je et il m’échange de mauvaise grâce le Banco contre un millionnaire.

- Si tu gagne, c’est moi qui gagne, les pucelles ont toujours eu les grâces du bon Dieu….

- J’ai perdu….

- T’avais déjà joué, hein ? M’en fout, j’ai gagné 100 francs! J’te pais un nouveau Banco, mais gratte-le chez toi, hein? »

Gérard continuait à gratter ses bouts de papiers, yeux plissés et langue en coin de bec….Mamadou était parti faire son demi-tour et appeler sa femme.

« Hé merde!…Bon Pître, on taille, on a du boulot. »


Retour sur les poubelles ardentes et les rues cossues de G…, emmailloté dans un tissu hétérogène de résidences verdoyantes. Puis … ma rue et les poubelles des voisins qui m’ont vu grandir… 8h46 : à peu près juste après les départs au boulot, donc moins de chance d’être grillé… si ce n’est …cette chaaaaarmante Mme Bigenet qui veille sur ses poubelles comme elle l’a fait sur son fils. Mais lui est parti couvert de laurier. Je baisse la tête pour ne pas être reconnu par celle qui voudrait peut-être être prise comme ses deux compères par la croupe, vielle chouette.

  • BONjour, messieurs !

  • Bonjour, m’dame » maquillant la voix qui comptait tout haut les parties de cache-cache d’avec sa progéniture.

Elle arrondie des yeux en essayant de recadrer des intonations familière. J’esquive tout échange en forçant mes gestes et enchainant sur mes propres poubelles… restées derrière le portail. Connaissant l’emmerde de manquer les éboueurs pour l’avoir pratiqué en déni familiale, je commence à ouvrir la grille, le sachant ouvert...

  • Oh popop ! Mais qu’est-ce que tu fais ??

  • C’est la baraque d’amis…

  • Vas…mais j’espère que t’as pas trop de potes dans le quartier, on a encore du pain sur la planche !!!

‘prends mon bac jaune baillant d’emballage Pigard et le balance dans la benne en maudissant Thienne plutôt que moi-même.

Viennent ensuite les rues du haut G… , aux maisons type manoir parfois noyés sous les premières frondaisons de la forêt du même nom.



Là, par contre, les poubelles trônent immaculées de propreté toute les 100 mètres…on finissait par prendre le strapontin à l’arrière du camion pour joindre la prochaine propriété, à renifler le long de la chaussée les odeurs de jasmin (et ouais même en hiver), …. Le luxe caché jusqu’au fond du bac : carton d’emballage en vélin, carré extrudé Hermès, des boîtes sobres aux sonorités italiennes mais aussi quelques boîtes de conserve nettoyé et un paquet de noyau de rouleau de p.q., les riches poussent plus que les autres. ..

On s’écarte des chênes qui font la forêt sombre et profonde, trampolinant sur les puissantes suspensions de la benne, le soleil allumant les premières couleurs de la cité des muguets : une escouade de pavé ocre percé de rectangles muets. Et là, pas trace de quelconque silhouette casqué jaune…mais un labyrinthe de béton haut d’une tête de moi que moi. En son centre, un bras en bandes fluorescentes s’agitait, m’emmena à le rejoindre quérir les bacs à roulette au fond de “escargot”.

Mamadou était parti avaler un rapide café à son sein des saints, on enquillait le contenu des bacs dans les mâchoires cyniques en jouant des manettes pour porter à sa gueule les cinq cent litres de rebuts à digérer.

Onze escargots et trois femmes de Mamadou plus tard, nous revoilà au chaud dans la cabine dépressurissé de toutes odeurs rances, à siroter un thé thermos en attendant de faire un détour vers C… pour un renfort à Place des Fêtes…Gérard me considère ….puis mord dans un croissant pour engager la conversation : « Hé Polo, t’as déjà travaillé sur un chantier ? » On a quand même porté les poubelles ensemble …

- Nan, moi, c’est Piotr…

- Pardon…euh Piotr. J’ai besoin d’un peu d’aide pour monter quatre murs de parpaing …

- j’ai bien peur que tout ce que je monterais, c’est des moutons à saut de cheval!

- Ou pt’ être des gazelles broutant dans ton vert pâturage …T’inquiète, quand t’auras saisi le rythme t’aura plus besoin de dormir après.

Mais si dans quelques jours, ça te dis de tâter du béton : j’ai un étage à monter avant l’ printemps et t’aura l’honneur, en plus, d’avoir participé à la construc de ma baraque.

- J’serais honoré et vais y penser!

- ma femme va éclore dans 3 semaines, faudrait que tu m’l’affirme dans la semaine…


Arrivons dans un lotissement de maisons clonées avec des petits jardinets …c’est pas le « Place Def » des parkings pour seul éden que je connais.


Dans la rue serpentine, les habitants agitent les mains en nous voyant débouler - nous, les Héros du quotidien - un petit nenfant tend en courant un croissant au « parrain » Gérard et monte faire un tour de camion me laissant me coltiner les trois impasses, toujours salué à droite et à gauche par des pépères en robes de chambre.

Retour au chaud, il est 11h26 et la soif m’est sèche. A l’horizon haut de la montée de A… , les colonnes de Siom s’auréolaient de sa nappe de fumée blanchâtre. Un pied dans l’empire du rêve, l’autre plongea dans une flaque d’eau brune une fois arrivée au parking, mais on me rattrapa par la peau du cou : « Tutute, nous quitte pas : reste à vider la benne… Dans le travail en équipe, on arrive ensemble (hum hum…) et on repart ensemble, même si tu vas poireauter dans le camion. »

Mon bipbop bipe quand la porte du caltard claque : « Bonjour Piotr, c’est Françoise d’Ecco-A… …..pas trop fatigué ?

  • heuuuu nan, pas de trop trop….

  • J’ai une très courte mission à vous proposer, et vous pourrez y manger tout votre soul : c’est l’entreprise Calipige dans la zone industrielle de O… qui veut offrir un barbecue à ses VRP et donc il leur faudrait quelqu’un pour le préparer. Vous travaillerez en binôme avec un ami à vous je crois : Thienne. Ça vous tente ?

  • Ha ouais Thienne! Sûr que ça me tente ! C’est quand et payer combien ?

  • Dans une demi heure et payer 150 Francs la presta’…. C’est au 42 Avenue Ampère : Je vous inscris alors ?

  • Ouais, ça marche : j’y vole…Merci ! »

Le gros de la benne est vidé, reste le verre dans les panses secondaires du bovin à gasoil. Face au trop plein de verre recyclé, les coffres pleins de la collecte finiront sur l’énorme tas façon biomasse poly chromatique des ordures non-recyclables à cramer.

-ça y est Pître : t’es libre…à demain et à l’heure !

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